La fascination pour de nouvelles pistes thérapeutiques
Dès ses études, Marc Poirot s’est captivé pour l’union entre biologie et chimie, deux disciplines jusque-là cloisonnées. De ce mariage, le directeur de recherche Inserm a tiré les fils de nouvelles voies de transformation du cholestérol et de leur implication dans le cancer du sein. Un travail récemment récompensé par le prix Schroepfer, décerné par l’American Oil Chemists’ Society.
Demandez à des chercheurs quand a commencé leur émerveillement pour les sciences et presque tous répondront « depuis l’enfance ! » Marc Poirot est de ceux-ci. « J’ai d’abord été attiré par la biologie, j’ai beaucoup observé la nature et j’avais toujours une encyclopédie à portée de main pour y trouver des réponses à mes questions », se souvient-il. Cinq décennies plus tard, le chercheur a toujours cette passion chevillée au corps : chaque jour, dans les locaux de son équipe installés sur le site du Cancéropôle de Toulouse, il essaie de comprendre cette nature qui le fascinait déjà très jeune, désormais dans ses aspects les plus pointus : le métabolisme du cholestérol et les effets de sa dérégulation dans les cancers du sein. Avant d’en arriver là, le parcours de formation du scientifique s’est construit au gré de rencontres décisives. Celle avec son professeur de philosophie, Olivier Schwartz, qui le convainc de s’orienter vers les sciences expérimentales. Puis avec la chimie organique, qui lui fait découvrir la possibilité de créer des molécules à façon. Ensuite avec Jean Asselineau, ancien directeur de laboratoire au CNRS, qui l’incite à s’inscrire dans une nouvelle formation doctorale alliant chimie et biologie, alors qu’il était auparavant impossible de suivre un cursus réunissant les deux disciplines, forçant le jeune étudiant à jongler entre les emplois du temps de deux maîtrises. Enfin, vient sa rencontre avec Sandrine Silvente tandis qu’il patiente dans la file d’inscription à l’université. « Ça a été le coup de foudre et nous ne nous sommes plus quittés », raconte-t-il à propos de celle qui deviendra sa femme et avec qui il fondera plus tard l’équipe Métabolisme du cholestérol et innovations thérapeutiques. Alors qu’il commence à travailler dans l’industrie chimique allemande, un professeur de chimie, Jean-Jacques Périé, l’informe de la création d’un DEA de chimie des biomolécules : pas question de manquer cette révolution que le scientifique avait pressentie depuis le début de ses études, le « mariage » de la biologie et de la chimie ! Marc Poirot entreprend donc une thèse auprès de Jean-Charles Faye, ingénieur chimiste et chercheur à l’Inserm. « J’y ai développé des outils chimiques et identifié AEBS (sigle anglais pour “site de liaison aux anti-œstrogènes”), qui est une cible pharmacologique d’un médicament utilisé pour le traitement des cancers du sein hormono-dépendants, le tamoxifène », retrace-t-il. À une époque où les campus ne sont pas connectés, Marc Poirot épuise les ressources bibliographiques universitaires pour étendre ses connaissances en chimie et en biochimie. Il y découvre l’existence des alcaloïdes stéroïdiens, substances qu’on pensait alors exclues du règne animal mais possédant des propriétés physicochimiques particulières et souvent bioactives chez l’Homme. « Personne à ma connaissance n’avait recherché leur existence chez les mammifères », se souvient-il au sujet de ces dérivés du cholestérol qui deviendront centraux dans ses recherches.
Après un post-doctorat à Sanofi, où il poursuit la caractérisation du site AEBS, suivi d’un poste de chargé de recherche à l’Inserm dans l’équipe de son mentor Jean-Charles Faye, Marc Poirot intègre les National Institutes of Health, à Bethesda, aux États-Unis, où il travaille sur les récepteurs des hormones stéroïdiennes. Un rapprochement s’opère entre ses thématiques de recherche et celles de sa femme, Sandrine Silvente-Poirot, chercheuse CNRS en biochimie et en pharmacologie moléculaire, et ils s’associent pour créer une équipe de recherche transdisciplinaire au Centre de physiopathologie de Toulouse Purpan.
Au cœur de leurs travaux : les dérivés du cholestérol et leurs effets promoteurs et suppresseurs de tumeurs. Le chercheur et son équipe ont tout d’abord mis en évidence l’importance jusqu’alors insoupçonnée du cholestérol dans l’action anticancéreuse du tamoxifène. Ils ont également démontré qu’il existait, sur le site AEBS, ciblé par ce médicament anticancéreux, une enzyme appelée cholesterol-5,6-epoxide hydrolase (ChEH), cruciale dans la transformation biochimique du cholestérol. Ces observations laissent penser aux scientifiques qu’il existerait une voie encore méconnue de transformation du cholestérol. Pour tes-ter cette hypothèse, ils ont synthétisé des dérivés du cholestérol à l’aide d’amines naturelles, telles que l’histamine ou des polyamines. Ces dérivés, qu’ils ont par la suite nommés « dendrogénines », sont des alcaloïdes stéroïdiens. « Ces dendro-génines se sont révélées capables d’induire la différenciation de cellules indifférenciées ou dédifférenciées, ce qui a fait écho à nos recherches sur le cancer car les cellules tumorales sont caractérisées par la perte de leur état de différenciation. Nous les avons ensuite recherchées et trouvées dans les tissus de mammifères, prouvant ainsi l’existence d’alcaloïdes stéroïdiens bioac-tifs chez l’Homme », résume le chercheur. Parmi ces molécules, la dendrogénine A (DDA) montre des propriétés anticancé-reuses remarquables. Or les chercheurs observent que les cellules cancéreuses ont perdu la capacité à produire la DDA ! « Sandrine a démontré qu’à la place de cette molécule, elles produisent un oncométabo-lite, que nous avons appelé “oncostérone”, favorisant le développement tumoral mam-maire », poursuit-il.
Autant de découvertes successives qui dessinent de nouvelles possibilités de traitements anticancers, via une action sur des mécanismes cellulaires que les traitements classiques ne ciblaient pas jusqu’alors. De l’étude du site du liaison du tamoxi-fène à ces conclusions et leur portée thé-rapeutique, le chemin parcouru paraît vertigineux. « C’est le cas !, confirme Marc Poirot. Au départ, on se sent submergé par les tâches à réaliser. C’est avec le recul que l’on se rend compte de l’ampleur du travail accompli, qui plus est avec succès ! » Le chercheur, qui a reçu en mai le prestigieux prix Schroepfer décerné par l’American Oil Chemists’ society, une société savante américaine s’intéressant aux lipides dans tous leurs champs d’application, en appré-cie d’autant plus tous les efforts consentis. « C’est un grand honneur pour moi et mon équipe, reconnaît-il. Ce prix est un encou-ragement clair à poursuivre notre travail d’exploration de cette nouvelle voie méta-bolique qui nous promet encore de grandes découvertes. »
Alice Bomboy. Article paru dans le magazine de l’Inserm n°58 Octobre 2023
Centre de Recherches contre le Cancer de Toulouse (Oncopole)
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